Il fait froid ce matin de janvier, un ciel gris et lugubre présage mal de la journée à venir. Tonton Marcel et Tonton Claude sont déjà arrivés. Les tantes sont à la cuisine et préparent les plats et les ustensiles pour la grande fête qui se prépare. Dans la cuisine tonton Marcel sort une bouteille de gnôle. « Allez, on a bien mérité un petit coup pour se réchauffer. Les trois verres duralex se remplissent d’un vieux tord-boyaux à la provenance indéterminée. Je goûte : c’est encore pire que ce que je pensais. Je finis le verre cul sec pour abréger la cérémonie. Je sens aussitôt une brûlure m’arracher l’œsophage sur toute la longueur. Beurk !
Pendant qu’une brève discussion s’amorce sur la pluie, le beau temps et autres considérations de circonstance, je me demande soudain comment j’ai pu en arriver là. Je m’étais juré de ne jamais cautionner cette cérémonie barbare. Je suis vraiment trop con… Les verres vides se reposent sur la table en chêne « Bon, ben c’est pas le tout, » dit le tonton Marcel jovial, « On a du boulot maintenant, en route » Il s’essuie la bouche du revers de sa main et sort dehors.
Chaque année tonton Marcel élève un cochon, « parce que c’est la tradition » mais aussi parce que « c’est bien meilleur que chez Leclerc ». Cette année, le cochon s’appelle Jean-Louis, un nom de baptême, un beau nom pour un cochon. Jean-Louis a gambadé dans le champ tout l’été, et s’est gavé tout l’automne de glands et de châtaignes dans le sous-bois. Jean-Louis est devenu énorme.
A mesure que l’on s’approche de l’étable en pierres, on entend les couinements de Jean-Louis s’amplifier. Le cochon connaît le jour de sa mort. Une sorte de sixième sens le prévient. Il sait exactement ce qui va lui arriver. Son petit cœur noyé dans la graisse bat à tout rompre. Depuis des semaines déjà il est enfermé dans un petit réduit en planches avec juste un peu de paille pour dormir. Il couine, il grogne, il pleure : « je veux encore gambader dans les prés avec les porcelets ! Je veux encore des glands ! encore des châtaignes ! encore des siestes sous les chênes dans la douce brise de l’été ! Libérez-moi ! Libérez-moi ! grrrouirgghhhh !!!». En franchissant les quelques mètres qui me séparent encore de l’étable, l’angoisse m’étreint la gorge. Le temps s’étire démesurément pour faire entrer dans ces quelques secondes tous les mauvais souvenirs que me rappelle cette sale matinée : l’oral d’Allemand au bac, le passage du permis de conduire, les entretiens d’embauche avec des types en cravate, la salle d’attente du dentiste. Je suis si bien dressé que je vais de moi-même vers ce que je déteste le plus, sans contrainte physique, par l’injonction sociale, ou simplement parce que je n’arrive pas à imaginer comment je pourrais faire autrement.
Jean-Louis est sorti manu militari de son réduit en planches, et malgré ses protestations sonores, tiré par une corde et amené quelques mètres plus loin, dans la cour, près du tracteur. Il y a là une sorte d’établi, et dessus un chalumeau. « Ils ne vont pas le torturer quand même ? »
Tonton Marcel attache le condamné au tracteur par la patte arrière, pendant que tonton Claude revient de l’atelier avec la masse. Il me tend l’outil. « Tiens puisque tu es là tu n’as qu’à lui en mettre un coup sur la tête pour l’estourbir. Nous on commence à se faire vieux tu sais. » Je suis saisi de stupeur. « Ces salopards veulent me mouiller dans leur sale truc… Je vais devenir complice… complicité de crime contre cochon… Je me vois soudain dans l’enceinte d’un tribunal où je figure à la barre des accusés, un tribunal de cochons en costume, un cochon procureur, des cochons avocats, des truies de bonne famille au premier rang, dont les porcelets courent entre les travées de bois sombre, avec un vacarme qui me rappelle les grognements de jean-Louis…
« Alors c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? On va pas y passer la journée ! » s’énerve tonton Marcel.
Je me mets devant Jean-Louis, je lève la masse… après tout ce n’est qu’un cochon… Je ne vais pas me ridiculiser devant toute la famille. Au moment où j’abats la masse sur la tête du cochon, celui-ci bouge et je rate à moitié mon coup. Jean-Louis hurle, pousse des cris déchirants dans les aigus, le crâne à moitié fracassé, un œil pendant lamentablement hors de son orbite. « Nom de diou tu l’as raté ! Mets-lui en un autre avant qu’il ameute tout le quartier » hurle tonton Marcel. A moitié abasourdi par les hurlements de Jean-Louis et les imprécations du tonton, je lève la masse et je l’abats de toutes mes forces sur la tête de Jean-Louis. La tête explose littéralement et des bouts de cervelle giclent sur le pavé, attachés à des morceaux de crâne. C’est un carnage. La tête de Jean-Louis ne ressemble plus à rien. Je retire la masse poisseuse sur laquelle sont restés des petits bouts de cervelle blanche qui ressemblent à du flan.
Je suis un assassin…
Jean-Louis s’est effondré sur le flanc dans un râle. Au moins on ne l’entend plus. Tonton Marcel attache les deux pattes arrières de Jean-Louis à la fourche du tracteur, celle qui sert à manipuler les bottes de foin. Après avoir démarré le tracteur, Il actionne l’élévateur de la fourche et Jean-Louis se dresse avec, décollant bientôt de terre, la tête pendant dans le vide, avec un léger mouvement de balancier.
« Eh ben tu l’as drôlement arrangé » dit tonton Marcel l’air ennuyé. « Enfin l’essentiel c’est que ce soit réglé. » Ajoute-t-il pour ne pas m’accabler
Tonton Claude a amené une grande bassine et un couteau. Il saigne Jean-Louis à la gorge, et pendant que le sang coule à gros bouillon, il commence à tourner le sang noir dans la bassine avec un bâton. « C’est pour ne pas que ça coagule, m’explique-t-il. »
Tonton Claude repart à la cuisine avec sa bassine de sang, pendant que tonton Marcel empoigne le chalumeau et commence à brûler les soies du cochon de haut en bas, sur toute la surface de la peau qui prend une teinte noirâtre. Le sort de ce pauvre Jean-Louis me fait penser à ces exécutions barbares du moyen-âge, où l’on continuait à infliger des sévices au condamné même après sa mort, en le décapitant, le brûlant ou en lui infligeant encore d’autres sévices atroces. Je repense à cette hagiographie des saints que j’avais lue un jour par désoeuvrement. On y décrivait par le menu tous les sévices infligés aux différents saints et qui participaient de leur grandeur: pelés, émincés, hachés menu ou broyés, rôtis, bouillis, démembrés de diverses façons, empalés, dévorés par différentes bestioles terrestres ou aquatiques : lions, ours, tigres, panthères, murènes ; crucifiés, enduits de poix et transformés en luminaires dans les jardins de Néron… Ils n’ont jamais pensé à les manger, c’est bizarre…
Tonton Claude revient avec une grande bassine d’eau chaude, des brosses et un racloir. C’est la toilette du mort. Jean-Louis est lavé, brossé, raclé jusqu’à ce que sa peau soit bien nette. Je suis écoeuré…
« Si il fallait tuer le cochon à chaque fois qu’on mange des saucisses, on en mangerait moins souvent, hein mon gars ! » Me dit tonton Marcel en rigolant.
Jean-Louis est maintenant éventré, éviscéré, les tripes sont mises dans un bac. On ne jette rien. Puis on le coupe en morceaux sans plus de cérémonies, pendant que mes tantes font la navette avec diverses gamelles pour entasser les quartiers de viande.
La boucherie continue jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les deux morceaux de cordes attachés au tracteur, qui se balancent au vent. Les voisins arrivent maintenant avec le sourire aux lèvres, pour donner un coup de main à faire saucisses et boudins, avec la perspective d’un bon gueuleton à la clé. C’est la fête au cochon…
Le cochon Jean-Louis, saint et martyr, Jean-Louis dont la gloire périssable s’élève au ciel dans la litanie des boucheries charcuteries : boudin, saucisses, saucissons, lard, pâtés, rillauds, rillons, rillettes, andouille, andouillette, pieds, oreilles, queue, jambons, rôtis, museau, tripes, chaudin, foie, cœur, rate, côtelettes, filet mignon, lard, couenne, saindoux, crépinette…
j’ai eu apeu près la meme experience
un jour le papi chez qui je travaille me donne un poulet fermier vivant. je repars à la maison avec le poulet et les instuction pour le tuer sans le rater. le soir on s’y met à deux avec mon mari. je tiens le poulet et mon mari le couteau. juste avant de planter le couteau mon mari lance un « mon dieu pardonnez moi » je le regarde avancer et essayer de saigner ce pauvre pouler qui se met a crier et je le lache ; obliger de courir après pour l’achever.
franchement, je ne ferais pas ça tout les jours..
nous avons aussi fait de la sanquette comme le grand père nous l’a expliqué, c’est à dire faire couler le sang du poulet dans une assiette .ajouter des lardons et laisser cailler. puis faire frire (pas cuire trop longtemps pour pas que ce soit trop sec)
On s’y croirait… Sacrés tontons ! C’est drôlement bien écrit. Je ne sais pas si je vais tenter le lapin…